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la grenouille qui veut se faire aussi grosse que le bSuf.
III
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Il ne saurait être question d énumérer ici les particularités de caractère qui
s allient à la vanité, ou qui lui font concurrence, pour s imposer à l attention
du poète comique. Nous avons montré que tous les défauts peuvent devenir
risibles, et même, à la rigueur, certaines qualités. Lors même que la liste
pourrait être dressée des ridicules connus, la comédie se chargerait de l allon-
ger, non pas sans doute en créant des ridicules de pure fantaisie, mais en
démêlant des directions comiques qui avaient passé jusque-là inaperçues :
c est ainsi que l imagination peut isoler dans le dessin compliqué d un seul et
même tapis des figures toujours nouvelles. La condition essentielle, nous le
savons, est que la particularité observée apparaisse tout de suite comme une
espèce de cadre, où beaucoup de personnes pourront s insérer.
Mais il y a des cadres tout faits, constitués par la société elle-même, néces-
saires à la société puisqu elle est fondée sur une division du travail. Je veux
parler des métiers, fonctions et professions. Toute profession spéciale donne à
ceux qui s y enferment certaines habitudes d esprit et certaines particularités
de caractère par où ils se ressemblent entre eux et par où aussi ils se distin-
guent des autres. De petites sociétés se constituent ainsi au sein de la grande.
Sans doute elles résultent de l organisation même de la société en général. Et
pourtant elles risqueraient, si elles s isolaient trop, de nuire à la sociabilité. Or
le rire a justement pour fonction de réprimer les tendances séparatistes. Son
Henri Bergson, Le rire. Essai sur la signification du comique (1900) 76
rôle est de corriger la raideur en souplesse, de réadapter chacun à tous, enfin
d arrondir les angles. Nous aurons donc ici une espèce de comique dont les
variétés pourraient être déterminées à l avance. Nous l appellerons, si vous
voulez, le comique professionnel.
Nous n entrerons pas dans le détail de ces variétés. Nous aimons mieux
insister sur ce qu elles ont de commun. En première ligne figure la vanité
professionnelle. Chacun des maîtres de M. Jourdain met son art au-dessus de
tous les autres. Il y a un personnage de Labiche qui ne comprend pas qu on
puisse être autre chose que marchand de bois. C est, naturellement, un mar-
chand de bois. La vanité inclinera d ailleurs ici à devenir solennité à mesure
que la profession exercée renfermera une plus haute dose de charlatanisme.
Car c est un fait remarquable que plus un art est contestable, plus ceux qui s y
livrent tendent à se croire investis d un sacerdoce et à exiger qu on s incline
devant ses mystères. Les professions utiles sont manifestement faites pour le
public ; mais celles d une utilité plus douteuse ne peuvent justifier leur
existence qu en supposant que le public est fait pour elles : or, c est cette
illusion qui est au fond de la solennité. Le comique des médecins de Molière
vient en grande partie de là. Ils traitent le malade comme s il avait été créé
pour le médecin, et la nature elle-même comme une dépendance de la
médecine.
Une autre forme de cette raideur comique est ce que j appellerai l endur-
cissement professionnel. Le personnage comique s insérera si étroitement
dans le cadre rigide de sa fonction qu il n aura plus de place pour se mouvoir,
et surtout pour s émouvoir, comme les autres hommes. Rappelons-nous le mot
du juge Perrin Dandin à Isabelle, qui lui demande comment on peut voir
torturer des malheureux :
Bah ! cela fait toujours passer une heure ou deux.
N est-ce pas une espèce d endurcissement professionnel que celui de
Tartuffe, s exprimant, il est vrai, par la bouche d Orgon :
Et je verrais mourir frère, enfants, mère et femme,
Que je m en soucierais autant que de cela !
Mais le moyen le plus usité de pousser une profession au comique est de la
cantonner, pour ainsi dire, à l intérieur du langage qui lui est propre. On fera
que le juge, le médecin, le soldat appliquent aux choses usuelles la langue du
droit, de la stratégie ou de la médecine, comme s ils étaient devenus incapa-
bles de parler comme tout le monde. D ordinaire, ce genre de comique est
assez grossier. Mais il devient plus délicat, comme nous le disions, quand il
décèle une particularité de caractère en même temps qu une habitude profes-
Henri Bergson, Le rire. Essai sur la signification du comique (1900) 77
sionnelle. Rappelons-nous le joueur de Régnard, s exprimant avec tant
d originalité en termes de jeu, faisant prendre à son valet le nom d Hector, en
attendant qu il appelle sa fiancée
Pallas, du nom connu de la Dame de Pique,
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